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By: Amira Maameri


Il y a dans le monde entre 360.000 et 900.000 Mineurs IsolĂ©s Etrangers (MIE) ou Mineurs Non AccompagnĂ©s (MNA). La migration de ce groupe d’enfants extraordinaires, minoritaires, interculturels et qui plus est particulièrement vulnĂ©rables, est un phĂ©nomène unique car elle implique qu’un enfant fasse le choix de risquer sa vie pour diverses raisons – violence extrĂŞme, physique, verbale, guerre, pauvretĂ©, torture, drogue, dĂ©linquance, exploitation, prostitution, viol, dĂ©crochage scolaire, isolement, souffrance psychique etc. - dans l’espoir de rejoindre un pays dĂ©veloppĂ© et ainsi accĂ©der Ă  une vie meilleure et sĂ©curitaire. Au XXIème siècle, ce phĂ©nomène migratoire a pris une ampleur considĂ©rable et bien qu’il s’agisse d’enfants en danger, il n’est toujours pas assez connu du grand public. Cet article propose, dans un premier temps, de donner un aperçu de la situation contemporaine des mineurs isolĂ©s Ă©trangers en France (1) et au Canada (2). Il sera question, dans un second temps, de synthĂ©tiser notre Ă©tude comparĂ©e (3) et enfin de clĂ´turer celle-ci par l’élaboration de quelques recommandations (4). 

1.    En France

En 2017, plus de 50.000 jeunes migrants sont arrivés sur le territoire français et le nombre ne cesse d’augmenter. En théorie, à son arrivée, le mineur étranger isolé doit passer cinq jours officiels d’évaluation de la minorité (-18 ans). Seulement, ce délai n’est pas respecté en pratique. Au-delà de ces cinq jours de prise en charge, l’article L. 223-2 du CASF prévoit que le service doit saisir l’autorité judiciaire « en cas d’urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l’impossibilité de donner son accord ». Il est à noter que les mineurs isolés étrangers ne sont pas soumis aux règles de séjour des étrangers tandis que les demandes d’asile se font très rares.

Dans le cas oĂą le MNA ne serait pas en mesure de prĂ©senter des documents d’identitĂ© faisant foi de sa minoritĂ©, le Juge pour enfants peut lui demander de rĂ©aliser un acte de dĂ©termination d’âge physiologique (expertise d’âge osseux) avec son consentement. Dès lors, l’enfant ayant pu justifier de sa minoritĂ© est alors confiĂ© Ă  l’Aide Sociale Ă  l’Enfance (ASE) sur ordonnance de placement provisoire (OPP) du Juge pour enfants ou du Procureur afin de garantir sa protection. NĂ©anmoins, force est de reconnaĂ®tre que la prise en charge des mineurs non accompagnĂ©s par les services de protection de l’enfance est extrĂŞmement difficile faute de places et d’hĂ©bergements. Sans compter le flou administratif et juridique pour les personnes non reconnues par l’État comme mineurs ou majeurs ainsi que le manque de moyens et de formations des professionnels des services sociaux. L’ASE ne parvient effectivement pas Ă  assurer, Ă  elle seule, la prise en charge effective de tous les mineurs non accompagnĂ©s tandis que ceux-ci sont complètement dĂ©pendants de l’aide de l’État. 

Enfin, concernant l’obligation de prise en charge des MNA, le 28 fĂ©vrier 2019, la France a d’ailleurs fait l’objet d’une condamnation par la Cour EuropĂ©enne des Droits de l’Homme dans l’affaire Khan c. France (requĂŞte n°12267/16) sur le fondement de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dĂ©gradants) de la CEDH : « La Cour n’est pas convaincue que les autoritĂ©s ont fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour rĂ©pondre Ă  l’obligation de prise en charge et de protection qui pesait Ă  l’État dĂ©fenseur s’agissant d’un mineur isolĂ© Ă©tranger en situation irrĂ©gulière, c’est-Ă -dire d’un individu relevant de la catĂ©gorie des personnes les plus vulnĂ©rables de la sociĂ©tĂ© ». 

2.    Au Canada 

La situation des mineurs isolés étrangers est plus claire sur le territoire canadien du fait d’une politique migratoire et sociale plus transparente. En effet, à son arrivée, le mineur non accompagné peut effectivement réaliser une demande de statut de réfugié qui est examinée à partir des critères relatifs à la Convention de Genève. L’enfant doit, dès lors, subir un examen de recevabilité de la demande avec un accommodement spécial en tant que personne vulnérable. L’agent de l’immigration apprécie la minorité du mineur non accompagné sur la base d’une présentation de preuve ainsi que de son témoignage. Chaque mineur isolé étranger a la possibilité d’être accompagné d’une personne de confiance lors de l’entrevue. Il est à noter que le fardeau de la preuve repose sur le demandeur qui sera traité comme un adulte. L’agent de l’immigration détermine ensuite si l’enfant demandeur d’asile doit être envoyé aux services provinciaux de protection de la jeunesse telle que la Direction de le Protection de la Jeunesse (DPJ) au Québec.

En ce qui concerne les enfants migrants qui font l’objet d’une mesure de détention, bien qu’il n’existe pas de statistiques claires sur le nombre de MNA détenus, entre 1999-2000, le Service de Citoyenneté et Immigration Canada avait estimé à 338 mineurs détenus. Entre 2005-2006, 715 enfants migrants auraient été détenus, parmi lesquels 620 étaient accompagnés et 95 mineurs non accompagnés. On compte également 430 enfants demandeurs d’asile par année, lesquels seraient détenus. Les agents d’immigration bénéficiant d’un pouvoir discrétionnaire pour procéder ou non à la mise en détention du mineur. Il faut évidemment prendre avec précaution ces données dans la mesure où la vérification des celles-ci reste complexe outre la détermination des raisons qui ont conduit l’agent de l’immigration à placer l’enfant en détention.

Enfin, la dĂ©tention des mineurs isolĂ©s Ă©trangers est rĂ©glementĂ©e Ă  l’article 60 de la LIPR comme suit : « Pour application de la prĂ©sente section et compte tenu des autres critères applicables, y compris l’intĂ©rĂŞt supĂ©rieur de l’enfant, est affirmĂ© le principe de la dĂ©tention des mineurs doit n’être qu’une mesure de dernier recours » (Baker c. Canada [Ministre de la CitoyennetĂ© et de l’Immigration], [1999] 2 RCS 817 et Kanthasamy c. Canada [CitoyennetĂ© et Immigration] 2015 CSC 61). 

3.    Synthèse

De part et d’autre de l’ocĂ©an Atlantique, le nombre de mineurs isolĂ©s Ă©trangers ne cesse d’augmenter outre les difficultĂ©s rĂ©elles qui dĂ©coulent de cette crise migratoire inĂ©dite et exponentielle (manque de moyens, de formations, flou administratif et juridique etc.). Force est de constater que la situation de ces enfants semble moins problĂ©matique au Canada qu’en France du fait du nombre moins important de MNA sur le territoire et d’une politique visiblement plus cohĂ©rente et transparente. Tandis qu’en France, le seul gage de protection des mineurs isolĂ©s Ă©trangers se matĂ©rialise par l’Ordonnance de Placement Provisoire (OPP) du Juge ou du Procureur au bĂ©nĂ©fice de l’enfant. Nonobstant cela, le taux de placement d’enfants migrants dont des mineurs non accompagnĂ©s en dĂ©tention ne peut que nous interroger sur cette pratique au Canada, outre le fait que l’État canadien n’est pas Ă  l’abris d’accueillir davantage de mineurs isolĂ©s Ă©trangers sur son sol. 

Par consĂ©quent, la France comme le Canada peuvent se trouver, in fine, dans une situation dĂ©licate quant Ă  leurs engagements relatifs au respect des droits de ces mineurs non accompagnĂ©s garantis par la Convention internationale des droits de l’Enfant, 1989, laquelle concerne tous les enfants jusqu’à 18 ans, quels que soient leur origine, leur couleur, leur sexe, leur religion. D’autant qu’il apparaĂ®t enfin que certains enfants pour qui le dĂ©faut de preuve de la minoritĂ© soit insurmontable d’être dĂ©finitivement exclus de leurs droits.  

4.    Recommandations

Du point de vue de la recherche, il y aurait lieu de rĂ©flĂ©chir sur le perfectionnement du dispositif en place pour la protection et la sĂ©curitĂ© effectives des mineurs non accompagnĂ©s particulièrement vulnĂ©rables : 
•    En faisant appel Ă  l’interdisciplinaritĂ©, travailler sur des concepts dĂ©jĂ  existants tels que : « IntĂ©rĂŞt supĂ©rieur de l’enfant », « Participation de l’enfant », « Sens de la minoritĂ© », « SolidaritĂ© », « Crise humanitaire », « Vivre ensemble », « Violence extrĂŞme », « InclusivitĂ© ». Mais Ă©galement le concept de « RĂ©silience » dès lors qu’il existe bon nombre de parcours exceptionnels de MNA inspirant courage, force et respect. 
•    Ă‰laborer des groupes de recherche dotĂ©s de compĂ©tences transversales en vue de faire Ă©merger des rĂ©flexions, idĂ©es et concepts nouveaux.
•    CrĂ©er des partenariats de recherche internationaux quant Ă  ce phĂ©nomène migratoire inĂ©dit et en accroissement constant. 
Il serait enfin opportun d’envisager des implications utiles et bĂ©nĂ©fiques comme la crĂ©ation d’une base de donnĂ©es centralisĂ©e et officielle sur les MNA. Et, rĂ©aliser des analyses relatives Ă  la gestion du budget octroyĂ© pour la prise en charge des MNA au niveau fĂ©dĂ©ral/provincial pour le Canada, et dĂ©partemental/Ă©tatique pour la France. 

RĂ©fĂ©rences : 

-    Doineau E., Godefroy J-P., « Mineurs non accompagnĂ©s : rĂ©pondre Ă  l’urgence qui s’installe », 2017, Rapport d’information n°598 (2016-2017) fait au nom de la commission des affaires sociales.
-    Helfter, ClĂ©mence., « La prise en charge des mineurs isolĂ©s Ă©trangers par l'Aide sociale Ă  l'enfance. Une protection nĂ©cessaire et perfectible », Informations sociales, vol. 160, no. 4, 2010, pp. 124-132.
-    Haddad M., 2014, « La dĂ©tention des mineurs Ă©trangers non accomagnĂ©s », Le contexte de l’immigration, UniversitĂ© Laval, Canadian journal of children’s rights.
-    Daniel Tucotte, Gilles Mireault, Marc Rouzeau, Philippe Hirlet, Patricia Bouchard & HĂ©lène GuĂ©do. (2016). « L’évaluation des pratiques en protection de l’enfance : une comparaison France-QuĂ©bec ». Nouvelles pratiques sociales, 28(1), 229.